John Entwistle : Le roc imperturbable de The Who

Surnommé The Ox pour son endurance et Thunderfingers pour sa rapidité, John Entwistle est sans conteste l’un des bassistes les plus influents de l’histoire du rock. Membre fondateur de The Who, il a redéfini le rôle de la basse dans un groupe, imposant un style aussi puissant que mélodique, tout en restant d’un calme olympien au milieu du chaos scénique de ses acolytes.

Contrairement à la plupart des bassistes rock de son époque, qui se contentaient d’assurer une assise rythmique discrète, Entwistle a développé un jeu extrêmement technique et expressif, mêlant virtuosité, rapidité et précision. Dans un groupe où Pete Townshend fracassait ses guitares, Keith Moon martelait sa batterie comme un déchaîné et Roger Daltrey électrisait le public, Entwistle était l’ancre solide qui maintenait l’ensemble cohérent. Son jeu, souvent comparé à une guitare lead, lui a permis de se démarquer et d’influencer des générations de musiciens.

Si The Who a marqué l’histoire du rock par son énergie explosive et son audace musicale, c’est en grande partie grâce à la puissance tranquille et à la maîtrise impeccable de John Entwistle. Mais avant de devenir cette légende de la basse, il y a eu un début, une passion, et une rencontre déterminante…

Jeunesse et débuts musicaux

John Alec Entwistle naît le 9 octobre 1944 à Chiswick, un quartier de l’ouest de Londres. Fils unique, il grandit dans un environnement familial où la musique occupe une place de choix. Très tôt, il montre un talent exceptionnel pour les instruments à vent, notamment le cor d’harmonie et la trompette, qu’il pratique avec discipline. Cette formation classique lui donnera plus tard une approche unique de la basse, avec un sens de la mélodie et de l’harmonie rarement vu chez les bassistes de rock.

Adolescent, il s’intéresse au rock naissant et commence par jouer de la guitare. Rapidement, il se rend compte que son jeu naturel l’oriente davantage vers les fréquences graves. Frustré par le manque de puissance sonore des bassistes de l’époque, il décide d’expérimenter et se fabrique lui-même une basse à six cordes, avant d’adopter la toute première Fender Precision Bass importée en Angleterre.

C’est au lycée qu’il croise la route de Pete Townshend. Les deux jeunes musiciens partagent un goût prononcé pour la musique et développent une complicité musicale qui les amène à jouer ensemble dans divers groupes. Peu après, Entwistle est approché par un certain Roger Daltrey, leader d’un groupe local nommé The Detours. Impressionné par son jeu précis et puissant, Daltrey l’invite à rejoindre la formation. Entwistle accepte et propose rapidement d’intégrer Townshend à la guitare. The Who est en train de naître.

Si l’énergie de Keith Moon et l’intensité de Roger Daltrey allaient bientôt propulser le groupe sur le devant de la scène, c’est bien la présence discrète mais essentielle d’Entwistle qui allait leur donner cette assise sonore incomparable. Dès les premiers concerts, son jeu se distingue : fluide, rapide, truffé de fill-ins et de solis de basse, chose impensable dans le rock des années 60.

Avec son approche innovante et son amour du volume sonore (il sera l’un des premiers à utiliser des amplis surpuissants), Entwistle pose les bases de ce que sera le son The Who : explosif, massif, et d’une intensité rarement égalée.

Ci-dessous un super documentaire sur John Entwistle pour ceux d’entre vous qui parlent anglais.

Un style révolutionnaire

Si John Entwistle s’est imposé comme l’un des plus grands bassistes de l’histoire du rock, c’est avant tout grâce à son style unique et novateur, bien loin des lignes de basse conventionnelles de son époque. Dans les années 60, la plupart des bassistes de rock se contentaient de suivre la rythmique en arrière-plan. Mais Entwistle, lui, voyait la basse comme un instrument mélodique et percussif, capable de rivaliser avec la guitare solo en termes de complexité et d’impact sonore.

Dès les premières années de The Who, son jeu se distingue par une fluidité exceptionnelle, combinant des lignes rapides et mélodiques avec un picking ultra-précis. Il est l’un des premiers bassistes à adopter un jeu en doigté alterné ultra-rapide, souvent comparé à celui d’un guitariste jouant en aller-retour avec un médiator. Cette technique lui permet de développer un jeu soliste sur un instrument habituellement cantonné à un rôle d’accompagnement.

Son approche se caractérise également par une utilisation massive du legato, des hammer-ons et pull-offs, ainsi que par un usage fréquent des accords et harmoniques, donnant à son jeu une richesse sonore impressionnante. Contrairement aux bassistes qui privilégiaient un jeu en rondeur, Entwistle optait pour un son claquant et agressif, obtenu grâce à un égaliseur poussé sur les aigus et à l’utilisation d’amplificateurs puissants, notamment les Marshall et Hiwatt, qu’il contribuera à populariser pour la basse.

Mais ce qui fait véritablement sa marque de fabrique, c’est son rôle au sein de The Who. Là où la plupart des groupes rock reposaient sur une basse qui soutenait la batterie, Entwistle inversait complètement cette logique : sa basse menait le rythme, tandis que la batterie de Keith Moon, déchaînée et anarchique, jouait presque en improvisation autour de lui. Ce schéma inhabituel créait une dynamique explosive et totalement unique dans le rock.

Certains de ses morceaux emblématiques témoignent de cette approche révolutionnaire :

• « My Generation » (1965) : Son célèbre solo de basse, une première dans l’histoire du rock, inspirera des générations de bassistes.
• « The Real Me » (1973) : Une ligne de basse survoltée, techniquement impressionnante, qui sert d’ossature au morceau entier.
• « Baba O’Riley » (1971) : Une démonstration de son jeu en bourdonnement fluide, où la basse ne se contente pas de suivre la guitare, mais crée sa propre mélodie en contrepoint.
• « Won’t Get Fooled Again » (1971) : Un son massif, précis, qui donne au morceau toute sa puissance.

Son influence sur les bassistes à venir est immense. De Geddy Lee (Rush) à Billy Sheehan (Mr. Big) en passant par Chris Squire (Yes) et Steve Harris (Iron Maiden), tous reconnaissent en lui un pionnier qui a ouvert la voie à une nouvelle approche de la basse rock.

Entwistle n’était pas qu’un bassiste : il était un mur sonore à lui tout seul, un virtuose capable de transformer la basse en instrument principal sans jamais empiéter sur les autres musiciens. Une prouesse rare dans l’univers du rock, qui fera de lui l’un des plus grands innovateurs de son époque.

The Who : Une puissance scénique hors norme

Si John Entwistle était un virtuose en studio, c’est sur scène qu’il révélait toute sa maîtrise et son rôle fondamental au sein de The Who. Le groupe, connu pour ses performances explosives et chaotiques, s’appuyait sur une dynamique unique où chaque membre semblait jouer à contre-courant des standards du rock. Là où la basse est habituellement un pilier discret, chez The Who, c’était Entwistle qui tenait la baraque, alors que Keith Moon martyrisait sa batterie, Pete Townshend fracassait ses guitares, et Roger Daltrey projetait sa voix avec une puissance phénoménale.

Entwistle, fidèle à son surnom The Ox, restait imperturbable au milieu de ce tumulte. Son style de jeu, d’une rapidité et d’une précision redoutables, lui permettait de maintenir une assise rythmique parfaite, tout en se permettant des envolées techniques rarement vues chez un bassiste de rock. Il jouait avec une telle intensité que, malgré son apparente immobilité sur scène, il était le moteur caché du groupe.

Un showman discret mais essentiel

Contrairement à ses acolytes, qui multipliaient les gesticulations et les destructions d’instruments, Entwistle restait statique, concentré, presque froid, ce qui tranchait radicalement avec la furie ambiante. Pourtant, il n’en était pas moins un showman à sa manière : son look excentrique (costumes brillants, chemises ornées de squelettes) et son charisme silencieux en faisaient un élément incontournable du spectacle.

Il était également un maître du volume sonore. Dès les années 60, il cherche à obtenir le son de basse le plus puissant possible, poussant les fabricants d’amplis à concevoir des modèles toujours plus performants. Il fut ainsi l’un des premiers bassistes à adopter des amplificateurs Marshall et à populariser les Hiwatt, contribuant à façonner le mur du son caractéristique de The Who.

Des performances légendaires

The Who a marqué l’histoire du rock avec des concerts mémorables, où la basse d’Entwistle jouait un rôle clé :

• Live at Leeds (1970) : Souvent considéré comme l’un des meilleurs albums live de tous les temps, il montre toute la puissance d’Entwistle en concert, notamment sur des titres comme « Heaven and Hell », où sa basse vrombit avec une clarté impressionnante.
• Woodstock (1969) : Pendant que le chaos règne sur scène, Entwistle assure une performance impeccable, notamment sur « Summertime Blues », où sa basse rugit comme jamais.
• Isle of Wight Festival (1970) : Un autre moment d’anthologie où son jeu ultra-technique et précis domine le mix sonore du groupe.

Même dans les performances les plus destructrices de The Who, la basse de John Entwistle était toujours là pour garder le cap. Son rôle dans le groupe allait bien au-delà de la simple rythmique : il était l’ossature qui permettait à The Who d’exister sur scène.

Un héritage indélébile

John Entwistle n’était pas seulement un bassiste exceptionnel, il était un véritable révolutionnaire de l’instrument, dont l’influence continue de résonner aujourd’hui. Son jeu unique, alliant puissance, virtuosité et inventivité, a redéfini le rôle de la basse dans le rock et inspiré des générations de musiciens.

Une inspiration pour des générations de bassistes

Dès les années 70 et 80, des bassistes comme Geddy Lee (Rush), Chris Squire (Yes) et Steve Harris (Iron Maiden) citent Entwistle comme une influence majeure. Son approche mélodique et agressive de la basse a ouvert la voie à une nouvelle génération de musiciens cherchant à repousser les limites de leur instrument.

Dans le heavy metal, son impact est tout aussi visible. Des bassistes comme Billy Sheehan (Mr. Big, David Lee Roth) et Cliff Burton (Metallica) ont repris certains aspects de son jeu, notamment son usage intensif des harmoniques, du tapping et des lignes rapides qui transcendent la simple fonction rythmique de la basse.

Même dans des styles plus contemporains, des artistes comme Flea (Red Hot Chili Peppers) ou Justin Chancellor (Tool) perpétuent son héritage, adoptant une approche où la basse est bien plus qu’un simple accompagnement.

Un son et un matériel légendaires

Entwistle était aussi un obsédé du son, toujours en quête de puissance et de clarté. Ses innovations en matière d’équipement ont influencé l’industrie musicale, notamment à travers l’évolution des amplificateurs basse. Son amour pour un son claquant et percussif, qu’il obtenait en boostant les aigus et en jouant avec une attaque ultra-rapide, reste une référence pour de nombreux bassistes.

Il a également contribué à la conception de plusieurs modèles de basses mythiques, comme la Fender Precision Bass « Frankenstein », modifiée selon ses exigences, ou encore ses propres modèles signature développés avec Alembic et Warwick.

Sa basse Buzzard (ci-dessus) est également iconique de son jeu à partir de 1985.

Une légende toujours célébrée

John Entwistle nous a quittés brutalement en 2002, à l’âge de 57 ans, la veille d’une tournée de The Who. Son décès a marqué la fin d’une époque, mais son influence reste plus vivante que jamais.

Des hommages lui sont régulièrement rendus, que ce soit à travers des reprises, des documentaires ou des interviews d’artistes reconnaissant l’impact qu’il a eu sur leur musique. Son album solo « Smash Your Head Against the Wall » (1971), ainsi que ses collaborations avec d’autres musiciens, témoignent de son génie et de sa capacité à repousser les limites de son instrument.

Aujourd’hui encore, aucun bassiste de rock ne peut ignorer l’héritage laissé par John Entwistle. Il a prouvé que la basse pouvait être virtuose, expressive et centrale dans la musique, et son influence continue de guider ceux qui cherchent à réinventer leur jeu.

Anecdotes et faits marquants

John Entwistle n’était pas seulement un bassiste révolutionnaire, c’était aussi un personnage hors du commun, à la fois excentrique, discret et doté d’un humour noir légendaire. Voici quelques anecdotes qui illustrent son caractère unique et son impact dans l’histoire du rock.

1. « The Ox », un surnom bien mérité

Surnommé The Ox en raison de sa stature imposante et de son endurance sur scène, Entwistle était connu pour être le seul membre de The Who à rester parfaitement calme pendant que ses camarades mettaient le chaos partout. Pendant que Pete Townshend fracassait ses guitares, que Keith Moon faisait exploser sa batterie et que Roger Daltrey haranguait le public, lui jouait droit comme un roc, concentré sur ses lignes de basse ultra-techniques.

2. Le premier à jouer VRAIMENT fort

Si aujourd’hui les concerts de rock sont sonores, c’est en partie grâce à John Entwistle. Il a été l’un des premiers bassistes à utiliser des amplis Marshall et Hiwatt sur scène, forçant les fabricants à concevoir des équipements toujours plus puissants. En 1976, il est même entré dans le Livre Guinness des records comme le musicien ayant joué le plus fort en concert, avec un son dépassant 126 décibels !

3. Un bassiste… mais aussi un trompettiste

Avant de devenir un dieu de la basse, Entwistle était d’abord un trompettiste. Il a d’ailleurs joué de la trompette sur plusieurs morceaux de The Who, notamment sur « Cobwebs and Strange ». Il maîtrisait également le cor d’harmonie, qu’il a utilisé sur plusieurs arrangements du groupe.

4. Une carrière solo prolifique

Bien que principalement connu pour son travail avec The Who, John Entwistle a aussi eu une carrière solo impressionnante, avec des albums où il pouvait s’exprimer librement, loin des contraintes du groupe. Son premier album solo, « Smash Your Head Against the Wall » (1971), est un disque sombre et puissant, où il joue non seulement de la basse, mais aussi de la guitare et des cuivres.

5. Une collection d’instruments et d’objets faramineuse

Entwistle était un collectionneur obsessionnel. Il possédait des centaines de basses, de guitares et d’instruments à vent, mais aussi une immense collection d’armes médiévales, d’objets d’art et de souvenirs de films d’horreur. Son manoir ressemblait à un musée où se côtoyaient des armures, des épées et des affiches de films de monstres.

6. Un humour noir légendaire

Reconnu pour son flegme britannique, John Entwistle avait aussi un humour cynique et décalé. Il était le plus discret du groupe en apparence, mais souvent le plus sarcastique en coulisses. Son album « Rigor Mortis Sets In » (1973) est rempli de chansons aux textes humoristiques et macabres, preuve de son goût pour l’absurde.

7. Une mort aussi rock’n’roll que sa vie

John Entwistle est décédé le 27 juin 2002, dans une chambre d’hôtel à Las Vegas, la veille d’une tournée de The Who. Cause officielle : une crise cardiaque due à la cocaïne, une mort aussi excessive que son style de vie. Même dans son dernier souffle, il restait fidèle à la légende du rock’n’roll.